Non le Nord n’a pas été « rattrapé »
Il y a quelques temps, je discutais avec une connaissance relativement à la question du « rattrapage » en faveur des populations du nord. Cette thèse avait été propulsé par le Président ivoirien en Janvier 2012. J’expliquais à mon vis-à-vis que contrairement a ce qui avait été dit, il serait injuste de croire que nous ressortissants du nord avons effectivement bénéficié d’un « rattrapage ». J’ai poursuivi en lui disant que si cette assertion avait un fondement, elle ne devait concerner qu’une toute petite fraction de privilégiés, puisque je ne connaissais dans mon entourage aucun proche qui en ai bénéficié. J’ai ajouté que nos politiques fédèrent souvent en faisant feu de tout bois ; y compris les plus improbable. Il m’a alors fait remarquer que dans l’imaginaire populaire, vu que le président lui-même l’avais affirmé, il suffisait d’être du nord pour que toutes les portes s’ouvrent grandement.
Pour rappel, en Janvier 2012, dans des propos retranscris par le journaliste Vincent Hugeux dans le journal l’Express (article toujours en ligne https://urlz.fr/dIeH), le Président Ivoirien Alassane Ouattara disait parlant du rattrapage. Je cite : « Il s’agit d’un simple rattrapage. Sous Gbagbo, les communautés du Nord, soit 40 % de la population, étaient exclues des postes de responsabilité. S’agissant des hauts cadres de l’armée, j’ai eu à négocier avec les officiers des ex-Forces nouvelles [FN, ancienne rébellion nordiste], qui voulaient tous les postes. Et j’ai réussi à imposer cet équilibre dans la hiérarchie militaire, jusqu’au niveau de commandant : le n° 1 issu des FN, flanqué d’un n° 2 venu de l’ancienne armée régulière. Tous grades confondus ; il y a 12 % de nordistes dans la police, 15 % dans la gendarmerie et 40 % environ dans l’armée… Sur ce terrain-là, on ne peut rien me reprocher. » Fin de citation.
Huit ans plus tard, ces propos improbables du président servent encore de base théorique pour justifier de possibles passe-droits en faveur des populations du nord. Cependant il n’y a rien de plus faux que de croire que les ivoiriens du nord aient bénéficié de manière systématique de faveurs pour leur insertion socio-professionnelle du fait de leur origine. S’il y a eu rattrapage (si le président l’a affirmé, c’est qu’il y en a eu) il serait plus cohérent de dire que cette opération était destinée à récompenser des personnes issues de certains cercles. Il serait dès lors injuste de couler dans le même moule, toute la région alors que seule quelques personnes connues sans doute des bonnes personnes, ont pu avoir le privilège d’être ainsi « rattrapé ». Personnellement, je ne connais personne de chez moi ayant bénéficier de cette action. Peut-être qu’en réponse à ce billet quelques heureux élus de mon entourage pourraient se dévoiler à moi comme ayant été « rattrapé ».
Le rattrapage du grand nord est à mon sens une vue de l’esprit. Cela l’est d’autant plus que le simple fait de théoriser une telle position peut apparaitre comme une incongruité et une maladresse dans un environnement ethnique aussi diversifié que celui de la Côte d’Ivoire. Sans m’aventurer à faire un quelconque passage en revue des statiques régionales des postes de responsabilités dans l’administration depuis les indépendances, je n’ose pas imaginer que dans une république qui se veut inclusive et dynamique, l’on puisse faire l’impasse sur les qualifications et les compétences pour faire la promotion d’une origine. Pour la postérité et parce que nous savons qu’aucune région ne peut indéfiniment conserver le pouvoir dans notre pays, il serait juste pour nous ressortissants du septentrion ivoirien, de dénoncer clairement cette théorie certes soutenue mais en aucune façon vérifiée.
Je peux donc affirmer sur la base de ce que je sais en ma qualité de ressortissant du nord de notre pays, que la politique de rattrapage n’a jamais été destiné à promouvoir les fils de cette région. Je l’ai déjà affirmé plus haut et je me permets de me reprendre ici pour lever toute équivoque. Le nord n’a pas été rattrapé. Ni sur le plan de l’insertion socio-professionnel de ses fils, ni sur le plan du développement de ses infrastructures. Le « rattrapage » a sans doute permis de récompenser quelques fidèles. Mais transposer cela à toute une région, c’est pénaliser ses ressortissants eu égard à l’éventualité du changement du pouvoir. Si demain le président issu d’une autre région devait faire l’impasse sur la promotion des fils du nord pour rétablir l’équilibre, cela serait purement injuste mais strictement du fait de ceux qui ont soutenu cette position.
Brillant depuis le primaire, boursier depuis le collège, transfuge de lycée d’excellence et polytechnicien formé à Yamoussoukro, mon cursus m’a habitué aux valeurs de compétences. Je n’ose même pas imaginer devoir une quelconque position à une faveur ethnique ou régionale. Beaucoup de cadre d’entreprise originaires du nord sont aujourd’hui dans cette situation. Mon interlocuteur mentionné dès l’entame qui lui, est issu de la région de l’Est de notre pays, m’a conté l’histoire d’un de ses fils du nord qu’il connait depuis le plus jeune âge. Jeune cadre hautement qualifié formé en occident, recruté sur appel de compétence et dirigeant aujourd’hui une entité publique sans jamais avoir fait l’objet d’un quelconque rattrapage. Il serait injuste de le présenté comme un de ces « rattrapés ». Pour parler strictement du groupe dont je suis issu, chaque écolier, lycéen et étudiant ivoirien connais un camarade de classe sénoufo qui était bon. On a donc pas besoin d’être rattrapé.
Nos dirigeants nous ont certes habitués à fédérer les électeurs en appuyant souvent sur la fibre régionale, tribale et quelques rares fois religieuse, mais il est inconséquent d’hypothéquer le devenir de de toute une région en associant sa promotion à une foireuse théorie de rattrapage. Ce qui est en jeu aujourd’hui c’est l’éclosion d’une nation ivoirienne inclusive. L’époque du vote tribal ou ethno-régional est révolu, en tout cas, pour ce qui concerne le grand nord. Si elles sont libres et ouvertes, les joutes électorales à venir permettrons de voir que les positions sont clivantes. Ne nous leurrons pas ; trop de fils du nord sont aujourd’hui en exil, en prison ou en disgrâce pour espérer que le vote dans cette région demeure monocolore.
#RD #ValuesRatherThanMen #ERP
Abidjan, le 31 août 2020
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