Plaidoyer pour la Côte d’ivoire
Ma compagne m’a dit hier : « J’ai l’impression que je rêve, que je vais me réveiller et voir que tout est fini » parlant de la situation de crise que connait notre pays depuis la fin de l’élection présidentielle du 28 Novembre 2010. Echéance qui ambitionnait de nous unir mais qui semble avoir réussi le contraire ; nous diviser encore plus. Cette phrase ingénue résume la situation de chaque ivoirien pendant cette période trouble que vit le pays.
Qui de nous n’a pas l’impression de vivre un cauchemar. Personnellement, je n’en reviens pas que nous en soyons arrivés là. Non pas après toutes les épreuves traversées, les villes étrangères aux noms souvent exotiques que nous avons parcourus en quête de cohésion. Je n’en reviens surtout pas à cause de la précipitation dans laquelle les choses ont été faites après les élections. Laquelle précipitation me surprend d’autant plus que nous avons eu l’habitude de prendre notre temps avant de franchir chaque étape. Pendant tout le chemin, nous avons avancé doucement, analysant minutieusement chaque pas avant de le poser (Accra, Lomé, Marcoussis, Kleber, Pretoria, Yamoussoukro, Ouagadougou…). Puis, lorsque la ligne d’arrivée est enfin a porté de main nous avons accéléré comme de beaux diables enrayant net le moteur de la locomotive commune. Nous voilà tous comme des idiots enlisés jusqu’au cou dans le bourbier sans l’un des nôtres a l’extérieur pour nous tendre la main et nous aider à remonter.
La symphonie est mal finie pour paraphraser le président oint par la cour constitutionnelle. C’est peu dire, la symphonie n’est pas finie du tout. C’est une symphonie inachevée. A croire que tout avait été prévu sauf la manière dont nous devions gérer la fin. Décidément, finir en beauté n’est pas une chose que nous savons faire. Hier un ami m’a dit que la loi a été dite dans toute sa rigueur. Oui je suis d’accord, parfaitement d’accord ; force est à la loi. Mais quelle loi ? Cette même loi mise sous éteignoir pendant environ une décennie au nom de l’intérêt supérieur de la nation ? Voilà que soudain nous la brandissons comme un glaive maléfique et que nous en usons honteusement pour briser la pierre commune.
Amnésie collective ou mauvaise foi caractérisée, je me demande ce qui nous arrive tous. Une seule chose est sûre, nous assistons à un nombrilisme dément, occultant la raison pour laquelle nous avons organisée cette élection hyperbolique à plus d’un titre. Petit rappel pour tous, une élection de sortie de crise organisée cinq ans après la date légale. Une élection pour nous réconcilier et mettre fin à la partition de notre pays. Une élection pour remettre notre pays sur les rails du développement et renouer avec le rêve de grandeur que nos pères avaient pour la côte d’ivoire. Pour les amnésiques, voilà la mission que nous assignions à cette élection affublée du qualificatif affabulateur d’historique.
Mais que récoltons-nous après cette consultation collective ? Je réponds sans crainte de me tromper, une division plus profonde ; une exacerbation de la fracture, un éveil de la haine. Je suis d’autant plus à l’aise pour en parler qu’hier, je me suis honteusement surpris à détester un ami. Je lui en ai simplement voulu parce que contre vents et marrées, il défendait une position pendant que j’épousais l’inverse. Plus grave encore, cette inimitié était réciproque. Nous avons promis d’éviter le sujet pour ne plus nous fâcher. Mais qu’en est-il de la majorité des ivoiriens ? Ceux qui ne sont pas comme moi et mon ami à même de s’élever afin de s’entendre.
Mon petit frère, qui n’a pas eu la chance d’avoir une instruction scolaire, m’a demandé hier pour quelle raison son vote avait été invalidé. Je lui ai répondu qu’il était accusé d’avoir triché au profit d’un candidat. Il était offusqué à juste titre d’ailleurs – nous avons lui et moi, en horreur la tricherie sous toutes ses formes. Je lui ai expliqué que certaines zones étaient tombées sous le coup de la loi et que les votes y avaient été annulés. Il m’a alors posé cette question qui me lancine depuis lors. Pour qu’elle raison n’a-t-on pas repris le vote dans les zones a problèmes, cette fois avec plus de contrôle ? Je demeure convaincu que bon nombre d’ivoirien se pose la même question. Du moins ceux qui pensent à l’intérêt supérieur de la nation. Après un si long chemin parcouru, les épreuves traversées, les hésitations, les rebondissements, les précautions prises, pourquoi résoudre aussi abruptement ce problème alors que le bout du tunnel semblait si proche. Pourquoi ne pas avoir procédé comme nous l’avons depuis toujours fait, par consensus. Trouver parmi toutes les possibilités existantes, celle qui rassemble le plus. Je crois savoir que notre code électoral en son article 64 dispose : « Dans le cas où le Conseil constitutionnel constate des irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d’ensemble, il prononce l’annulation de l’élection. La date du nouveau scrutin est fixée par décret en Conseil des ministres sur proposition de la Commission chargée des élections. Le scrutin a lieu au plus tard quarante-cinq jours à compter de la date de la décision du Conseil constitutionnel. »
Je me demande dès lors si notre loi a n’a pas été lue et appliquée de manière partisane à dessein. Baltasar Gracian, dans l’homme de cour a écrit « Une justice trop exacte dégénère en injustice. » La loi a été appliqué dans toute sa rigueur dixit la cour constitutionnelle, loin de moi l’idée de m’ériger en constitutionnaliste ou en donneur de leçon mais mon avis est que nous aurions pu mieux faire. Surtout si nous gardons en mémoire qu’un certain magistrat avait quelques années auparavant, au nom de la loi fondamentale invalidé la candidature de certains de nos concitoyens à la magistrature suprême ouvrant ainsi la voie à notre aventure qui semble loin de trouver un dénouement. En effet, un autre juriste et non des moindres vient de rouvrir la boite de pandore que nous avions pratiquement refermé. Ma question est toute simple. La cour constitutionnelle n’a-t-elle pas fait (en toute bonne foi) plus de mal à la côte d’ivoire avec sa lecture des lois que raison. Par ailleurs, pourquoi ne pas avoir pris le temps d’utiliser les sept (7) jours impartis par cette même loi pour nourrir l’analyse afin d’adopter la position la plus objective et consensuelle possible. « Allons-y doucement parce que nous sommes pressés » pour reprendre l’adage populaire.
Nous voilà à la fin du parcours précipité dans un cul de sac. Nous semblons avoir en vain tourné en rond en nous enfonçant plus profondément. Que de temps perdu. Pour rien. Peut-être pas tant que ça. Nous sommes au moins parvenus à réveiller et exacerber la haine de l’autre. Je sors de mon cauchemar et je n’ai aucune réponse. Comme mes concitoyens, je n’ai que des questions. Je me demande : qu’avons-nous fait ? Est-ce à cela que nous voulions aboutir après avoir passé toutes ces années à panser nos plaies ? Sommes-nous maudits pour être aussi aveugle au point d’enclencher le compte à rebours de l’autodestruction ? Hier j’ai vu une horde de jeunes dans mon quartier armés de machettes, de haches et de gourdins. Ils disaient défendre les institutions de la république en arrêtant les passants pour contrôler leur identité. Une patrouille de police passant par-là, les a vu faire et n’a rien objecté. Pour la première fois, j’ai eu peur. Parce que jusqu’à présent, j’ai eu la chance de n’avoir vécu la guerre de mon pays qu’à travers les médias. Maintenant je me demande, avons-nous franchi le point de non-retour ?
Pour terminer, je sais que l’on peut effrontément mentir aux autres mais il est difficile de se mentir à soi-même. J’invite donc chacun de mes concitoyens à s’asseoir, à méditer et à se référer à sa conscience sans passion aucune. Ai-je fais, bien fais pour mon pays ce que je dois ? Pour reprendre le père fondateur Félix Houphouët Boigny.
Abidjan, le 05 Novembre 2010
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